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Handicap: vers un marketing véritablement inclusif et accessible, avec Béatrice Pradillon et Damien Fargeout

Cet article est le transcript et les ressources de l'épisode 38 du podcast Slow Marketing. 🎧 Voici le lien pour écouter l'épisode ! 📮Abonne-toi à la Newsletter pour ne rien louper des prochains épisodes !


“Quand on rend accessible, on croit rendre accessible à certains publics, on rend accessible pour tout le monde.”

Dans cet épisode, nous explorons la place du handicap dans le marketing, ou comment promouvoir plus d’inclusion et d’accessibilité avec Béatrice Pradillon de "Les Dévalideuses" et Damien Fargeout de "Dear Valid People".


Rejoignez-nous pour une discussion profonde sur les défis et les opportunités du marketing inclusif pour les personnes en situation de handicap.

Questions clés abordées dans cet épisode :

  1. Quels sont les stéréotypes persistants dans le marketing envers les personnes handicapées ?

  2. Comment le marketing peut-il éviter la déshumanisation lors de la promotion de produits pour personnes handicapées ?

  3. Quelles stratégies marketing les entreprises peuvent-elles adopter pour intégrer réellement l'accessibilité ?

  4. Comment les perceptions du handicap influencent-elles les stratégies de communication des entreprises ?

  5. Quels sont les enjeux et les bénéfices d'un marketing véritablement inclusif ?


Vignette épisode #38 - Handicap: vers un marketing véritablement inclusif et accessible, avec Béatrice Pradillon et Damien Fargeout - Podcast Slow Marketing


Les ressources


Le transcript

Comment le marketing peut-il être inclusif envers les personnes en situation de handicap ?
Avant de plonger dans notre discussion sur le marketing et le handicap, est-ce que vous pouvez vous présenter pour nos auditeurs et auditrices? Peut-être Béatrice, si tu veux commencer.

Béatrice: Moi, c'est Béatrice Pradillon. Je suis cofondatrice de l'association handi-féministe "Les Dévalideuses". Créée fin 2019, cette association se concentre sur l'intersection entre le genre et le handicap, abordant les problématiques spécifiques aux femmes handicapées. J'anime également une chronique radio locale à Montpellier intitulée "Viens te faire dévalider". Plus tard, j'ai rencontré Damien et Camille, coanimateurs du podcast "Dear Valid People". Je fais désormais partie de cette association. D'un point de vue professionnel, je me suis récemment reconvertie et je suis consultante en inclusion et diversité en entreprise.


Anaïs: Merci beaucoup Béatrice. Damien, est-ce que tu peux te présenter et nous parler de "Dear Valid People"?


Damien: Oui, je suis Damien Fargeout, président de l'association Dear Valid People. C'est une association loi 1901 qui vise à déconstruire les stéréotypes liés au handicap et au validisme. Nous avons deux moyens d'atteindre cet objectif. D'abord, à travers notre podcast du même nom, lancé en 2019. Actuellement, nous organisons des conférences mensuelles à la Casette Café à Montpellier, où nous invitons le public à interagir. Ensuite, nous offrons des services de conseil sur le handicap et l'accessibilité. Par ailleurs, je suis consultant en accessibilité des jeux vidéo et humoriste, utilisant le handicap comme thème pour faire rire et montrer que ce n'est pas synonyme de tristesse.


J'adore. Merci beaucoup pour ces présentations. Pour commencer, ma première question est assez basique, mais importante. Quels sont les principaux biais à propos du handicap qu'on retrouve dans le marketing aujourd'hui?

Béatrice: Le problème principal réside dans la représentation des personnes handicapées. Les entreprises se retrouvent souvent coincées entre deux extrêmes. D'un côté, il y a la vision misérabiliste où la personne handicapée est perçue comme un individu défaillant qu'il faut aider, un peu comme le Téléthon. De l'autre, il y a la représentation héroïque de la personne handicapée, qui surmonte toutes les difficultés avec courage et résilience, souvent associée aux sportifs paralympiques. Ces deux représentations ne sont pas agréables car elles ne reflètent pas la réalité de toutes les personnes handicapées.


Anaïs : Oui, finalement, elles ne sont jamais une personne normale.


Béatrice: Exactement.


Damien: Pour compléter, je dirais qu'un des biais en marketing est de considérer que les personnes handicapées ne font pas partie de la cible. On trouve toujours des excuses pour les exclure, comme penser qu'elles n'auront pas l'utilité du produit. Par exemple, dans le domaine des jeux vidéo, certains pensent que les malvoyants ou les aveugles ne voudraient pas jouer, ce qui n'a pas de sens. Le jeu est avant tout une expérience ludique, et cela n'a rien à voir avec les capacités visuelles.

Anaïs: Oui, je vois. Il y a aussi ce biais de penser que si le handicap n'est pas visible, il n'existe pas. Par exemple, en marketing digital, on se concentre souvent uniquement sur les personnes malvoyantes.


Béatrice: On a des représentations très stéréotypées du handicap. On pense d'abord aux fauteuils roulants, puis éventuellement aux malvoyants, mais on ignore les besoins des autres handicaps. Par exemple, la dyspraxie ou la maladie de Crohn sont peu connues et donc rarement prises en compte. D'où l'importance d'adopter une approche d'accessibilité universelle, qui prend en compte tout le monde.


Complètement d'accord. Je voulais aborder un autre biais particulièrement présent dans le marketing des produits pour personnes handicapées. J'ai eu deux grandes expériences professionnelles : l'une chez un grand fabricant de fauteuils roulants et l'autre chez un orthoprothésiste. Ce qui m'a le plus marqué, c'est la déshumanisation qui se produit lorsqu'on parle de marketing de produits liés au handicap. On se concentre uniquement sur les aspects techniques, en oubliant la personne, son quotidien, et son confort. Damien, tu veux réagir là-dessus ?

Damien : Oui, c'est intéressant ce que tu dis. Ça me rappelle une expérience récente. J'étais au théâtre et l'équipe technique parlait d'un fauteuil roulant, mais en oubliant qu'il y avait une personne dedans. On ne voit plus que l'objet technique, pas la personne. C'est choquant de constater à quel point on peut oublier les personnes sous prétexte qu'elles sont différentes ou que la communication est plus compliquée. C'est une attitude immature de déconsidérer les personnes pour de mauvaises raisons.


Anaïs : Oui, je vois ce que tu veux dire.


Damien : Un autre point important que tu as mentionné, Anaïs, c'est le focus en marketing. On pense souvent que l'accessibilité ne concerne qu'une petite partie de la population. Mais en réalité, l'accessibilité profite à tout le monde. Si un produit est accessible pour une personne handicapée, il le sera aussi pour une personne valide. Cette idée qu'on doit se concentrer uniquement sur une petite partie du public est erronée. En France, environ 20% de la population est concernée par un handicap, ce n'est pas négligeable.


Béatrice : En effet, et pour rendre les campagnes et stratégies marketing plus inclusives, il y a une règle simple à suivre : "Rien sur nous, sans nous". Cela signifie qu'il faut inclure des personnes handicapées dans le processus de conception. Que ce soit en les employant, en consultant régulièrement des personnes concernées, ou en faisant appel à des prestataires externes handicapés. Trop souvent, des initiatives pleines de bonne volonté finissent par être discriminantes parce qu'elles ont été conçues sans consulter les personnes handicapées.

Prenons l'exemple du Duo Day, où une personne handicapée est invitée à passer une journée en entreprise. Cela peut sembler une bonne initiative, mais sans une vraie stratégie d'inclusion derrière, c'est juste une mise en scène. Il faut des actions concrètes, pas seulement de la communication pour se donner bonne conscience.


Anaïs : Oui, ce slogan "Rien sur nous, sans nous" est très parlant.


Damien : Exactement, il ne faut pas confondre intention et impact. Avoir de bonnes intentions ne suffit pas si l'impact n'est pas là. Et il est crucial d'arrêter de penser que les produits ne sont pas utiles pour les personnes handicapées. Cette croyance erronée conduit à des conceptions de produits qui ne tiennent pas compte de leurs besoins. L'accessibilité doit être intégrée dès le début du processus de conception, sinon elle devient coûteuse et complexe à ajouter après coup.


Béatrice : Absolument. Si l'accessibilité est pensée dès le départ, elle n'est ni coûteuse ni compliquée. C'est beaucoup plus difficile de revenir sur un produit déjà conçu pour le rendre accessible. Et il faut aussi que l'accessibilité soit enseignée dans toutes les formations professionnelles, que ce soit en marketing, communication, architecture, santé, etc. On ne peut pas former des professionnels sans les sensibiliser à l'inclusion et à l'accessibilité.


Damien : Aujourd'hui, l'accessibilité n'est toujours pas considérée comme un domaine à part entière, au même titre que le graphisme ou la programmation. Elle doit avoir une place égale dans le processus de production, ce qui nécessite de repenser complètement ces systèmes.


Oui, complètement. Par exemple, pour l'accessibilité web, seulement 3-4% des sites sont accessibles aux personnes handicapées. Quand je travaille avec un client pour créer un site internet, le SEO fait partie des bases dès le début, et l'écoconception web commence aussi à s'imposer. Mais l'accessibilité, j'en entends rarement parler. Béatrice, c'est ta spécialité. Quelles sont les grandes lignes de l'accessibilité web aujourd'hui ?

Béatrice : En France, nous avons la chance d'avoir le Référentiel Général d'Amélioration de l'Accessibilité (RGA), qui est très complet sur les aspects théoriques et pratiques. C'est le guide à suivre pour développer un site internet accessible. Les grands principes incluent les contrastes de couleur, le fait que tout média doit être accessible de deux manières différentes (par exemple, un audio doit avoir une transcription écrite, une vidéo doit avoir des sous-titres ou une description audio).

Il faut aussi penser à l'accessibilité sur différents supports, comme les smartphones. Un site doit être aussi accessible sur un téléphone que sur un navigateur. De plus, il est crucial que les personnes qui mettent à jour les contenus soient formées à l'accessibilité, car cela ne concerne pas seulement la structure du site, mais aussi ce qui y est ajouté. Par exemple, il faut utiliser des textes alternatifs pour les images, respecter la hiérarchisation des titres, et éviter les éléments perturbateurs comme les carrousels d'images ou les vidéos qui se lancent automatiquement. Finalement, l'accessibilité rejoint souvent l'écoconception, en prônant des sites plus simples et plus rapides, ce qui est bénéfique pour tous.


Anaïs : Et il y a aussi des liens avec les recommandations SEO, comme la hiérarchisation des titres. Peux-tu nous parler plus en détail des textes alternatifs ?


Béatrice : Le texte alternatif, ou Alt Text, est essentiel pour l'accessibilité. Pour une personne malvoyante ou aveugle utilisant un lecteur d'écran, le texte alternatif décrit ce que montre l'image. Si l'image est purement décorative, une simple description suffit. Mais si l'image a un sens important, comme la photo d'un produit, il est crucial de la décrire en détail. Le texte alternatif est aussi important pour le référencement, car il permet d'inclure des mots-clés pertinents.

Cependant, il est regrettable que l'accessibilité soit souvent présentée sous l'angle du SEO ou de l'ergonomie pour susciter de l'intérêt. Par exemple, lorsqu'on promouvait un service d'audit de sites pour vérifier leur accessibilité, il fallait d'abord parler des bénéfices en termes de référencement et d'ergonomie avant de mentionner l'importance pour les personnes handicapées. C'est triste, mais c'est la réalité du terrain.


Damien : Oui, c'est encore une fois l'idée de masquer le handicap et de passer par des biais détournés. Cela rappelle les designers qui respectent les normes d'accessibilité uniquement pour répondre à des appels à projets. L'accessibilité est alors motivée par l'argent, pas par une véritable volonté d'inclusion. Les entreprises sont souvent plus intéressées par le bénéfice financier que par l'intégrité et l'inclusion réelle.

Il est difficile pour les professionnels d'accepter qu'ils n'ont pas fait les choses correctement depuis le début. Pourtant, les personnes handicapées représentent 20% de la population, une part significative que l'on ne peut pas ignorer.


Damien, par rapport à ton expérience dans les jeux vidéo, quelles sont les grandes lignes que tu recommandes pour l'accessibilité ?

Damien : Heureusement, aujourd'hui, nous avons des guidelines gratuites disponibles en ligne, comme les Game Accessibility Guidelines et les Xbox Accessibility Guidelines. Cela offre de nombreux exemples à suivre. J'aime diviser l'accessibilité des jeux vidéo en quatre catégories : visuelle, motrice, auditive et cognitive. Ce n'est pas forcément une représentation parfaite de la réalité, mais c'est une approche plus facile à comprendre pour les néophytes.

J'enseigne principalement l'accessibilité aux étudiants et aux futurs professionnels du jeu vidéo. Il est important de réfléchir à l'expérience que l'on veut offrir avec le jeu et de définir les priorités en termes d'accessibilité en fonction de cette expérience. Par exemple, pour un jeu narratif, il faut rendre la narration accessible avec de bons sous-titres, de l'audio-description, et des captions pour décrire la musique, surtout si celle-ci joue un rôle émotionnel important. Il s'agit de rendre l'expérience du jeu accessible, pas nécessairement d'atteindre une accessibilité parfaite à 100%.


Béatrice : J'ai une anecdote à ce sujet. Je joue beaucoup aux jeux vidéo avec mon fils, notamment à Minecraft. Un jour, en discutant avec des amies, elles m'ont fait remarquer que je n'entendais pas le bruit de la lave dans le jeu. Je ne mets jamais le son à fond à cause de ma sensibilité auditive. Ne pas entendre certains sons, comme celui de la lave, peut poser problème dans le jeu, car on risque de creuser sur un bloc de lave et mourir. Grâce à mes amies, j'ai découvert une option d'accessibilité qui sous-titre les sons. Maintenant, je peux voir écrit "son de la lave" ou "son d'un monstre", ce qui m'aide énormément.


Damien : Cela montre aussi l'importance de communiquer sur les options d'accessibilité disponibles dans nos produits. Béatrice a découvert cette option par hasard, alors qu'elle aurait dû le savoir avant même d'acheter le jeu. En marketing, il est crucial de parler de l'accessibilité des produits, tout comme on parle des autres caractéristiques comme l'âge recommandé ou la présence de violence.


Béatrice : Absolument, et cela s'applique aussi à d'autres domaines. Par exemple, pour les événements en présentiel, il devrait y avoir une page dédiée à l'accessibilité, expliquant s'il y a des marches, des rampes, un protocole spécifique, etc. Les personnes handicapées ne se déplaceront pas à un événement sans savoir à quoi elles seront confrontées. C'est particulièrement important pour les personnes en fauteuil roulant. Il est crucial de communiquer clairement sur ces aspects pour permettre une vraie inclusion.


Merci pour ce point, Damien. C'est vrai que je n'ai jamais vu ce type de considération dans des plans stratégiques de communication pour des événements. Il y a un exemple que je voulais partager. Il y a quelque temps, j'étais dans un musée et ils avaient toute une expérience digitale sur le téléphone. Ce que j'ai vraiment apprécié, c'est que dès l'onboarding de cette expérience, c'est-à-dire dès les premières pages, il y avait toutes les options d'accessibilité. C'était la première page, pas un truc caché dans les options. On te proposait directement des paramètres de contraste, de son, etc., pour profiter pleinement de l'expérience. C'était au musée de la Cerise en Franche-Comté. Pour moi, c'est un exemple à suivre et ça devrait faire partie du B.A.BA de toute communication.

Damien : Exactement. C'est la même chose pour l'onboarding d'un produit. Il faut toujours commencer par l'accessibilité. Dans les jeux vidéo, il y a une pratique similaire : au début du jeu, avant même d'arriver aux grands titres, un menu s'affiche avec les options d'accessibilité. Une tendance intéressante est d'activer par défaut des options comme la description audio pour les personnes ayant un handicap visuel, et de laisser les personnes qui n'en ont pas besoin les désactiver. C'est une inversion des logiques habituelles, et je trouve cela très positif.


Béatrice : Oui, et il y a souvent une confusion entre inclusion et accessibilité. On peut être inclusif sans être accessible et vice versa. Prenons l'exemple de Snag Tights, une marque de collants très inclusive. Ils présentent des modèles grande taille, des modèles handicapés, et des modèles LGBTQ+. Leur communication et leurs produits sont très inclusifs, allant jusqu'aux grandes tailles et s'adaptant à toutes les morphologies. Mais je n'ai pas vérifié si leur site et toutes leurs publications étaient accessibles, avec des alt-texts et des contrastes suffisants. Il est crucial d'avoir à la fois une approche inclusive dans les représentations et une véritable accessibilité numérique pour les produits et les messages.


Super intéressant comme exemple. Justement, je voulais revenir sur la question de la représentation que nous avons abordée au début. J'ai bien compris qu'il fallait intégrer les personnes handicapées dans les discussions et stratégies de base. Mais avez-vous des conseils ou des recommandations pour mieux intégrer les besoins et les personnes handicapées dans les campagnes de communication sans les reléguer à une sous-catégorie de consommateurs ?

Damien : Il faut arrêter de dénigrer l'expérience des personnes handicapées. Dans le jeu vidéo, par exemple, les designers disent souvent que faire de l'accessibilité, c'est léser l'expérience de base. Un gros débat dans ce domaine concerne les jeux de FromSoftware, comme Elden Ring. Certains affirment qu'il ne faut pas rendre ces jeux accessibles car ils sont des joyaux de design. Mais si c'est un joyau, pourquoi ne pas le rendre accessible à tout le monde ? L'argument de ne pas faire d'accessibilité est en fait un argument pour en faire. Un bon design permet de multiples expériences, et cela ne devrait pas être limité à une seule manière de jouer ou de naviguer.


Béatrice : Je suis complètement d'accord. Beaucoup de marques ignorent les besoins des personnes qui sortent de la norme établie. Par exemple, Shein est souvent critiqué pour des raisons écologiques et éthiques. Cependant, cette marque permet à des femmes rondes, qui ne trouvent pas de vêtements à leur taille dans les magasins traditionnels, de s'habiller. On ne peut pas blâmer ces personnes pour cela. Si les autres marques veulent récupérer ce marché, elles doivent proposer des tailles plus grandes et des vêtements adaptés à toutes les morphologies. Il faut être innovant et aller au-delà des standards habituels.


Damien, tu m'avais parlé d'un exemple dans le domaine de la mode masculine, je crois que c'était Jules ?

Damien : Oui, Jules avait lancé une campagne de vêtements accessibles. Cependant, ils faisaient encore la distinction entre les vêtements pour tout le monde et les vêtements accessibles. Idéalement, il ne devrait pas y avoir de différence. Tous les vêtements devraient être pensés pour être facilement accessibles à tous, sans distinction entre ceux qui peuvent se mettre debout pour enfiler un pantalon et ceux qui ne le peuvent pas. Il ne faut pas que l'accessibilité soit perçue comme quelque chose de médical ou thérapeutique.


Anaïs : Donc, l'idéal serait que tous les vêtements soient conçus pour être facilement accessibles à tous, sans distinction ?


Damien : Oui, exactement. Il ne faut pas faire de différence entre une personne qui peut se tenir debout pour enfiler un pantalon et une personne paraplégique qui le mettra autrement. Il est important d'accepter que certaines personnes sont en fauteuil roulant ou ont d'autres formes de handicap. Arrêtons de voir le handicap comme quelque chose de négatif ou d'affreux. C'est simplement une réalité.


Béatrice : Il faut normaliser le handicap, le voir comme une variable du vivant et arrêter de le catégoriser à part. Nous pouvons tous être en situation de handicap à un moment de notre vie, et cela ne doit pas être perçu comme négatif. Dire "je suis handicapé" ou "je suis sourd" ne doit pas être considéré comme un gros mot. C'est simplement la réalité. Je suis handicapée parce que la société n'est pas adaptée à moi.


Ça me fait penser au langage facile à lire et à comprendre (FALC), qui est une solution pour rendre le contenu plus accessible sur internet. J'avais été choquée lors d'une conférence l'année dernière. Un des participants comparait une écriture plus complexe et plus intelligente au FALC. En réalité, c'est plutôt une écriture discriminante versus une écriture plus facile à lire et à comprendre. Hier, j'en discutais avec une amie qui travaille dans l'assurance. Je n'avais jamais trop compris son métier, mais c'est une de mes meilleures amies. Je lui ai dit que j'avais pris une décision d'adulte en choisissant une mutuelle. J'ai choisi Alan parce que tout est facile à lire et à comprendre. Contrairement à d'autres mutuelles plus classiques en Belgique, où j'avais du mal à comprendre si mes séances d'ostéopathie allaient être remboursées ou pas, avec Alan, tout est écrit clairement en noir et blanc. Je pense que ce devrait être la base que tout soit accessible à tout le monde, tout le temps, à tous les niveaux. Comme tu dis, même en tant que personne valide, on peut tous se retrouver dans des situations de handicap.

Béatrice : Complètement. Au niveau de la compréhension, les gens ont tendance à penser que le FALC est seulement pour les personnes ayant des déficiences cognitives. Il faut arrêter de penser comme ça. Le FALC est utile, par exemple, pour les personnes qui ne parlent pas bien le français. Cela peut aussi être utile pour des personnes dans des périodes difficiles, comme celles qui sont dans le trouble du spectre autistique ou en dépression, car dans ces moments-là, le cerveau fonctionne différemment. On a besoin d'informations simples et claires, sans devoir décrypter des lignes complexes.

Un jour, lors d'une visite, mon mari a dit que j'étais sourde, et on m'a donné le guide de visite en FALC. Même si ce n'était pas complètement adapté à moi, j'ai apprécié l'effort. Les mesures d'accessibilité touchent souvent des publics auxquels on ne s'attend pas. L'accessibilité numérique et physique doivent toujours être liées. Quand on rend accessible pour certains publics, on rend en fait accessible pour tout le monde. L'accessibilité universelle rend la vie et les environnements plus faciles pour tous. Nous devrions vraiment aller dans cette direction, car cela permet de découvrir de nouveaux publics et de rendre notre société plus inclusive.


Complètement. Béatrice, Damien, si je vous dis "slow marketing", vous pensez à quoi ?

Damien : Prends ton temps. C'est quelque chose qu'on n'arrive pas à faire aujourd'hui et c'est l'un des principaux problèmes. On entend souvent dire qu'on n'a pas le temps, et encore moins pour l'accessibilité. Il faut inverser cette tendance et accepter de laisser de la place à l'accessibilité, même dans le peu de temps dont on dispose. Par exemple, dans les jeux vidéo, il vaudrait mieux avoir des jeux avec moins d'heures de jeu mais plus d'accessibilité. Cela constituerait une meilleure base. On pourra ensuite créer des jeux avec une longue durée de vie et accessibles. Il faut repartir de zéro, comme dans les années 80, et refaire des jeux mais accessibles.

L'exemple que tu as donné en conférence, c'est fou. Cela montre la liberté qu'a une personne dominante de critiquer quelque chose dont elle n'a pas besoin. On vit dans une époque où tout le monde aime donner son avis, même sur des choses qui ne les concernent pas. Cela s'appelle l'ultra-crépidarianisme. Nous devons exiger de nous-mêmes de ne pas le faire. Je suis handicapé moteur, mais je ne vais pas me permettre de parler des outils dont Béatrice a besoin, car nous n'avons pas les mêmes besoins. Si nous pouvions adopter cette attitude au niveau personnel, et que les politiques faisaient de même, on pourrait commencer à changer les choses. Mais pour l'instant, on nous demande de changer notre regard sur le handicap sans que l'environnement bouge, et ce n'est pas possible.


Béatrice : Moi, quand je pense au slow marketing, je pense à la qualité avant la quantité. Parfois, en communication, il vaut mieux faire deux publications parfaitement accessibles plutôt que dix qui ne le sont pas. Cela vaut aussi pour d'autres aspects. Par exemple, il vaut mieux avoir un site internet avec moins de contenu mais où tout est accessible, plutôt que de multiplier les contenus qui ne le sont pas.


Anaïs : Vos retours me parlent vraiment. L'année dernière, j'ai pris la décision de ralentir le rythme des épisodes de mon podcast. Avant, j'en publiais un par semaine, maintenant c'est un tous les quinze jours, avec des pauses entre les saisons. Tous les transcripts des épisodes sont disponibles sur le site, et c'est quelque chose qui me tient à cœur mais qui prend beaucoup de temps. Même avec les super outils d'IA qui aident énormément, je ne pouvais pas sortir un épisode par semaine, faire le montage, le transcript, vérifier tous les liens et ajouter les textes alternatifs sur les visuels. J'ai un travail à côté et je gère le podcast seule. Donc, ce que vous dites résonne vraiment avec mon expérience.


Pour conclure cet épisode, avez-vous chacun une action à recommander à ceux qui nous écoutent pour rendre leur environnement plus accessible et inclusif ?

Damien : Une recommandation, c'est dur, mais je dirais : parlez aux gens. Parlez aux personnes handicapées. Arrêtez de vous donner l'excuse que c'est compliqué de les trouver, ce n'est pas vrai. Vous en croisez tous les jours. Ayez la vivacité d'esprit de les aborder. Dites : "Excusez-moi, je travaille sur tel projet et nous voulons le rendre accessible. Pourriez-vous me consacrer quelques minutes de votre temps, peut-être maintenant ou plus tard ?" Parlez avec les gens concernés. Montrez que la vie avec un handicap est possible et qu'elle n'est pas forcément regrettable. J'ai été valide, et je ne regrette pas ma vie de personne valide ; pour moi, les deux phases de ma vie sont complémentaires.


Béatrice : Je suis parfaitement d'accord. Mon conseil serait aussi : rien sur nous sans nous. Je vais le répéter parce que c'est crucial. Prenez en compte les personnes handicapées dès le départ, que ce soit en les intégrant dans votre équipe, en consultant des prestataires handicapés, ou en interrogeant vos clients sur leurs besoins. Une amie disait que ce devrait même être "rien sans nous" tout court. La société ne devrait pas être pensée sans nous en permanence. Les actions, les événements, tout devrait inclure notre perspective.

Un autre point important : le conseil en inclusion est une expertise. Il faut reconnaître cette expertise et payer les personnes pour leurs conseils. Arrêtez de penser que le handicap est une sous-catégorie de conseil où les experts n'ont pas besoin d'être rémunérés. C'est une réalité que beaucoup de spécialistes en inclusion vivent : on leur demande souvent des conseils gratuits, que ce soit par mail ou en privé. C'est un petit rappel utile pour valoriser et rémunérer justement cette expertise.




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